Le débat autour du journalisme engagé versus le journalisme militant s’invite de plus en plus dans les discussions sur l’indépendance et la crédibilité des médias. Les résultats du récent Baromètre La Croix / Kantar Public montrent que les Français apprécient l’engagement des journalistes, malgré la méfiance persistante envers les médias. Cette situation soulève une question fondamentale : comment les journalistes peuvent-ils être engagés tout en respectant les principes éthiques de leur profession ?
Engagement journalistique : un atout ou une menace pour l’information ?
Selon le sondage Kantar, une majorité de Français (67 %) estiment que l’engagement des journalistes est bénéfique pour la liberté d’expression. Cette perception contraste avec le scepticisme général envers les médias, où 57 % des sondés expriment une défiance quant à la couverture des actualités. L’engagement semble être perçu comme un gage d’honnêteté et de transparence, loin de l’idée d’objectivité absolue, un concept largement reconnu comme utopique.
Les journalistes, conscients de cette réalité, ne se revendiquent plus comme totalement neutres, mais cherchent plutôt à être honnêtes dans la restitution des faits. Cet engagement, souvent dicté par des convictions personnelles, est vu comme une qualité, tant qu’il ne vire pas au militantisme. Le militantisme, contrairement à l’engagement, sert une cause particulière, au détriment parfois de la diversité et de la complexité des faits rapportés.
Journaliste engagé : transparence et responsabilité
Engagement et éthique professionnelle
L’engagement d’un journaliste, comme le souligne Michael Schudson, professeur à la Columbia Journalism School, repose sur l’adéquation entre les valeurs personnelles et les choix professionnels. Choisir de traiter de sujets spécifiques comme l’immigration ou la crise climatique peut être une façon d’exercer un journalisme engagé, sans pour autant céder aux tentations du militantisme.
Le journaliste engagé doit avant tout servir l’intérêt public. S’il est porté par des valeurs personnelles, il ne doit pas perdre de vue la nécessité de rapporter des faits avec précision, honnêteté et sans parti pris. Laurent Joffrin, ancien patron de Libération, rappelle que le militantisme risque de biaiser l’information, tandis que le journaliste engagé, lui, veille à considérer la réalité dans toute sa complexité, sans la déformer pour la faire correspondre à ses convictions.
Le rôle de l’interview dans le journalisme engagé
Le moment où les journalistes sont le plus souvent perçus comme partiaux est lors des interviews. Conduire une interview n’est pourtant pas défendre un point de vue. Il s’agit d’entendre l’interlocuteur, de le pousser à approfondir sa réflexion et, si besoin, de souligner les contradictions sans pour autant imposer ses propres convictions. Le journaliste se doit de maintenir une distance critique, même face à des sujets qui lui tiennent à cœur.
Il est essentiel de ne pas confondre engagement et complaisance. Un bon journaliste ne se contente pas d’écouter passivement, mais pousse son interlocuteur à clarifier ses propos tout en évitant les affirmations dogmatiques. En somme, il s’agit de favoriser le débat sans pour autant trahir les faits ou les interpréter de manière biaisée.
Militantisme et journalisme : deux approches inconciliables
Le militantisme, contrairement au journalisme engagé, vise à défendre une cause à tout prix. Cela peut conduire à une sélection des faits pour soutenir une narrative particulière, créant ainsi une déformation de la réalité. Ce comportement va à l’encontre des principes déontologiques du journalisme, qui exigent une présentation fidèle des événements, sans manipulation ni omission.
Un militant défend une cause : Il se bat pour un objectif précis et évite de présenter des faits qui pourraient nuire à sa cause.
Un journaliste engagé : Il présente la réalité dans toute sa complexité, en restant fidèle aux faits, même si ceux-ci ne soutiennent pas nécessairement ses convictions personnelles.
L’indépendance : C’est la clé de la déontologie journalistique. Un journaliste ne doit pas être influencé par des partis politiques ou des intérêts personnels.
Les chartes déontologiques insistent sur l’esprit critique, la véracité et l’impartialité. Ces valeurs sont incompatibles avec une pratique militante qui tend à défendre un point de vue unique.
Conclusion
Le journalisme engagé, lorsqu’il est pratiqué avec rigueur et transparence, peut enrichir le débat public et renforcer la crédibilité des médias. Toutefois, il est essentiel de distinguer cet engagement d’un militantisme qui risque de fausser l’information et de tromper le public. L’équilibre entre engagement et impartialité est fragile, mais il constitue le fondement de la confiance que le public accorde aux journalistes. En fin de compte, l’intérêt général doit primer sur les intérêts partisans, afin que le journaliste puisse continuer à informer librement et de manière indépendante.